
Parmi les principales tendances ayant récemment marqué l’économie au sens large, la digitalisation figure certainement parmi les plus importantes. Un changement de paradigme soutenu, palpable dans quasiment tous les secteurs d’activité. Optimisation des processus, automatisation de certaines tâches ou encore gain de temps et atouts économiques constituent autant de facteurs expliquant l’adoption massive des technologies numériques dans les différentes sphères de l’économie. Légèrement en retrait de ces changements durant ces dernières années, la filière de la construction opère désormais un positionnement incisif en la matière. Le Valais fait d’ailleurs office de canton précurseur, ayant initié des projets des plus porteurs, notamment dans le domaine de la formation continue. Des efforts qui fédèrent la branche à l’échelle romande puisque les autres cantons suivent la tendance et s’inspirent des efforts consentis en Valais.
En témoigne l’E-Campus, plateforme lancée par l’AVE à l’automne 2021, grâce à laquelle les professionnels du bâtiment peuvent suivre des formations en ligne en avançant à leur propre rythme. Après le programme destiné aux machinistes proposé dans un format hybride alternant entre cours théoriques en digital et cours pratiques en présentiel, un cursus consacré à l’ordonnance sur les travaux de construction (OTConst) a été ajouté dans un format essentiellement numérique. Un troisième cursus, consacré à l’élingage, est désormais disponible en format hybride.

Approche évolutive
« L’objectif à long terme consiste à adapter continuellement nos formations aux évolutions du secteur pour les rendre accessibles sur notre plateforme, explique Kilian Lötscher, sous-directeur de l’AVE et responsable de la formation professionnelle. Pour les entreprises comme pour les professionnels, E-Campus garantit une mise à jour des compétences conforme aux dernières réglementations cantonales. Il s’agit également d’un outil d’apprentissage flexible qui permet à chacun de progresser à son propre rythme, un atout souvent mis en avant par les utilisateurs. »

Disponibles en français et en allemand, les formations en ligne sont en outre complétées d’explications résumées en italien, espagnol, portugais, croate et serbe. Accompagnés parfois de modules théoriques en présentiel ainsi que de sessions pratiques sur le terrain, ces cours restent tous sanctionnés par des examens en présentiel.
Un récepteur GPS Trimble monté sur un engin de chantier permet un positionnement millimétrique des interventions. Pour Alexandre Comby, CEO de mobiletic, qui a développé la plateforme, l’adoption de dispositifs de pédagogie numérique par les acteurs de la construction s’inscrit dans la droite ligne de l’évolution technologique qui caractérise d’autres secteurs d’activité. « Notre positionnement nous offre en effet une vue globale sur la manière dont l’économie opère sa transformation digitale. Après des projets menés dans le domaine scolaire et universitaire, médical ou encore gastronomique, nous sommes désormais amenés à collaborer activement avec la branche de la construction. Pour les entrepreneurs et les employés, l’e-learning offre des avantages uniques en termes de gain de temps, de flexibilité et de progression individualisée. »
Pour concevoir les cursus offerts dans le Campus en ligne de l’AVE, l’équipe d’Alexandre Comby a élaboré un programme de cours par niveaux. Objectif : inciter les participants à progresser et à débloquer les sessions pratiques à suivre en présentiel, accessibles uniquement après avoir validé les modules théoriques en ligne. Un programme sur-mesure, qui s’adapte au rythme et aux possibilités de l’apprenant, développé en étroite collaboration avec l’AVE qui a fourni à mobiletic la matière des cours. Autre défi à mentionner : parvenir à faire en sorte que les formateurs puissent s’approprier l’outil.
« Les formateurs sont en effet des acteurs clés dans l’implémentation de solutions d’apprentissage numériques, poursuit Alexandre Comby. Pour eux, le fait de passer à une plateforme d’elearning modifie complètement la dynamique d’enseignement classique à laquelle ils ont pu être habitués jusque-là. Nous avons en outre veillé à assurer un flux de travaille plus fluide possible durant l’entier du parcours utilisateur, de la connexion au système à l’obtention des certifications. »
Harmonisation intercantonale
Parmi les différentes évolutions du E-Campus, on peut notamment mentionner l’effort d’harmonisation entrepris entre les cantons de Genève, Vaud, Fribourg et du Jura. « Les sections de ces cantons concernées par les formations de machiniste et de l’élingage ont en effet pu reprendre notre système afin de se calquer dessus pour coordonner leurs programmes de cours », ajoute Kilian Lötscher.
Un panel de formation intercantonal qui s’élargit en outre dans le domaine de la protection de sols avec le canton de Fribourg. Un aspect clé en matière de respect des bonnes pratiques durables dans la construction, pour lequel l’E-Campus de l’AVE se positionne déjà comme une plateforme de référence.
« Nous avons été approchés par le Service de l’environnement de Fribourg pour mettre en place une formation continue destinée aux machinistes et chefs d’équipe en matière de gestion et de protection des sols, explique David Valterio, aujourd’hui directeur de la Fédération Fribourgeoise des Entrepreneurs et ancien responsable de la formation du Bureau des métiers. L’idée initiale consistait à proposer un module en présentiel pour les machinistes. En voyant les développements digitaux initiés en Valais, nous avons décidé d’unir nos forces pour étendre la plateforme E-Campus à cette formation dédiée à la gestion des sols. Proposé en ligne, ce cours offre ainsi des avantages pratiques évidents de gain de temps et de souplesse organisationnelle pour les entrepreneurs et les employés. Ce format nous permet en outre d’élargir la cible des participants. »
À terme, le Campus en ligne de l’AVE pourrait bien devenir une plateforme romande, au sein de laquelle un panel de cours étoffé et harmonisé entre les différentes évolutions des besoins cantonaux serait continuellement mis en ligne. Outre cette coordination intercantonale, l’idée consiste aussi à mutualiser le dispositif entre acteurs du gros œuvre et du second œuvre. « Cette vision transversale fédératrice reflète d’ailleurs bien la nécessité et la volonté croissante d’une collaboration accrue entre tous les acteurs de la branche », souligne encore David Valterio.

Quand la signalisation de chantier se met à la réalité virtuelle
La formation continue digitale se décline également à travers des modules proposés en réalité virtuelle. Un format des plus immersifs, notamment élaboré suite à l’impulsion de l’AVE donnée fin 2022 pour mener un projet pilote en collaboration avec l’entreprise Virturéel, spécialisée dans les solutions en réalité augmentée et en réalité virtuelle. La plateforme développée à la suite de cette initiative comprend déjà près d’une centaine de typologies de chantiers différentes, offrant ainsi aux utilisateurs la possibilité de compléter leur formation sur des cas de figure variés.
Équipés de leur casque de réalité virtuelle, les constructeurs de routes et les acteurs de la construction, dont les travaux impactent la circulation, s’exercent pour mettre virtuellement leurs connaissances théoriques en pratique. Aussi bien pour des chantiers citadins que pour des travaux menés sur des routes escarpées en montagne, l’utilisateur met en place la déviation de la circulation automobile et piétonne, assure la sécurité des personnes à mobilité réduite et vérifie que les bons panneaux de signalisation sont correctement placés. La version finalisée, testée sur le terrain par les entreprises du secteur qui ont pu confirmer la pertinence de l’outil, devrait également être enrichie progressivement pour étoffer le programme d’entraînement avec des cas de figure additionnels.
eBadges, l’entrée en vigueur
En Valais, la digitalisation dans le secteur de la construction c’est aussi et surtout l’adoption des eBadges. Un dispositif clé en matière de lutte contre le travail au noir et de garantie du respect de la CCT qui prévaut dans la branche. Concrétisé dans une simple carte, le résultat de ce projet fait suite à un intense travail mené par de nombreux acteurs. Syndicats, commissions paritaires, associations professionnelles, État du Valais et Système d’information de l’association Alliance construction (SIAC) ont en effet collaboré étroitement pour élaborer le dispositif eBadges. Concrètement, la plateforme, dont l’adoption est entrée en vigueur dans le canton en ce début d’année, permet de centraliser toutes les informations relatives au respect de la CCT par les entreprises du secteur.
« SIAC avait déjà commencé à concevoir cette base de données depuis environ six ans, évoque Sascha Haltinner, qui dirige cette association voulue par les partenaires sociaux nationaux. En voyant les réflexions et les efforts déployés en Valais pour le lancement d’eBadges, nous avons logiquement entamé des discussions pour collaborer et gérer le déploiement du projet. Pour les partenaires sociaux et les organes de contrôle des chantiers, cette nouvelle plateforme numérique représente un atout certain, en permettant de faciliter et d’accélérer les processus de vérification. »
En ligne, toutes les informations administratives des entreprises sont en effet centralisées. Pour ces dernières, la plateforme permet ainsi de confirmer leur respect de la CCT et leur conformité avec les bonnes pratiques de la branche. Pour les maîtres d’ouvrage, faire appel à une entreprise inscrite dans la base de données eBadges garantit de solliciter un acteur économique responsable et à jour sur ces aspects. Depuis cet été, les appels d’offres de mandats publics cantonaux selon les procédures de gré à gré et sur invitation sont d’ailleurs proposés uniquement aux entreprises ayant fait la démarche. Enfin, pour les travailleurs, le système constitue un garde-fou contre les dérives potentielles en sécurisant leurs conditions de travail. Des discussions sont en cours pour permettre aux entreprises de location de services d’entamer les démarches nécessaires à une inscription.
